J’ai souvent été deux
J’ai souvent été deux
Celle qui veut et qui ne veut pas
Celle qui tire la ficelle et crie : non, ne fais pas ça !
Qui construit le mur et veut, passe de l’autre côté
Celle qui peint et qui regarde, qui écrit et ne lit pas qui boit et reste assoiffée, qui cultive le chaud et le froid
[…]
À l’évidence
A l’évidence,
je te laisse
ballant dans ta pudeur
celle qui me fait de l’ombre
Dis, dans mon ventre
écoute la profondeur du silence
formel et inédit, chic
gravé dans la laine de mes marées
[…]
Avec la solitude
la paille me fait désir
fourrure incendiaire
voile d’émigrant.
les autres
[...]
Intouchables jaillissants, tombés
du crépuscule boueux,
blafards d’incertitudes indomptées,
“Bonjour je suis»
la poussière des opulents, les restes
de fringales chronométrées, les draps de lits fripés du sommeil sans fatigue, muet.
Intouchables qui ne meurent pas, même exprès,
la détresse acharnée,
cette implacable promiscuité des cris cadenassés,
rides de dignité sur les mains salies de désœuvrement,
sur les paupières lourdes de gaz anesthésiant provisoire, dans le corps partagé en frissons
d’abandon.
intouchables qui savent encore, par quel prodige,
rire.
mai(s)
Je trouvais du charme à l’air vif
c’était brut, douillet
j’étais maigre et fragile.
Que font les fous le dimanche
à 3 heures du matin,
l’après-midi pareil
c’est une mi-temps plus forte que celle des 12 coups
c’est en creux
le froid comme une mauvaise herbe
les pensées en vague se fracassent sur les rochers puissants d’une normalité qui les écrase et les entaille
les brise en écume de cris
les refoule en résistance souveraine et sombre
les pensées en poussière sont domptées
comme tout
comment
tout redevient étal
petits voiliers blancs
soleil plongeant.
[...]
monologue
Je vis, retiré dans mon naufrage. Pourtant les vastes péripéties de ma sensibilité brassent encore ma tête froide. Mes illusions s’accrochent comme des ombres complices. D’apparence fragile, le regard gelé, je ne trouve plus mon destin, ou je le connais trop bien ?
La sympathie de j sied à mon désespoir mais je ne suis pas sûr du dévouement de son cœur impatient, accueillant. Cependant je rougis, j pâlit, je chancelle, j’en oublie la frontière qui nous sépare. Mon propre sort.
A travers mes habitudes j’ouvre les feuilles de la connaissance. La crainte me porte et je me demande si souvent « tant de peine pour rien ? »
Ma pensée s’enfouit encore dans une hostilité employée à bon escient contre l’émotion qui m’empoigne,
cette usure qui pleure.
[...]
guerres (l’éther)
0. La nuit,
la guerre au pouvoir
est révolutionnaire.
Règne le long cheminement, cause, manière,
terreur des passions.
Ne rien savoir aujourd’hui,
comme disparaître
contre l’oppression.
13. Je me posais la question qui rend vulnérable.
Je songeais également
à une femme belle qui avait tant de mal à séduire :
la mort assise à son piano.
Je la voyais
comme un sourire voilé
qui désarmait leurs défenses.
Comprendre quelque chose, une faiblesse.
[...]
d’accord ?
[...]
On peut déchirer toute idée de colère et rester là, assis,
empêché et morose, sans plus rien d’extraordinaire
ni de drôle en soi,
être un crétin fini, out.
On peut réfléchir au besoin de gagner,
de manigances en luttes,
de procédures en compromissions,
s’en griffer le visage.
[...]
Mais on ne peut pas s’endormir si au même instant
on éprouve la juste sensation
qu’un outrage glacé, une sentence armée
condamnent nos libertés.
© Léonore Fandol 1995-2019
Reproduction interdite, même partielle, sans autorisation de l’auteure.
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